Penser la contre-insurrection | Fragments sur les Temps Présents

Le premier auteur à avoir évoqué la possibilité d’employer des tactiques irrégulières est probablement Sun Tsu qui, dans son Art de la Guerre, écrit « celui qui sait comment utiliser à la fois des forces grandes et petites sera victorieux ». Dans le cinquième chapitre, consacré à l’énergie, Sun Tsu recommande d’utiliser les forces régulières pour l’engagement, et les forces « extraordinaires » pour la victoire, ce qui montre une compréhension du rôle stratégique que peuvent jouer de petites unités.

Cette importance du rôle des unités légères est comprise au XVIII° siècle par les théoriciens de la « petite guerre » qui, malgré le mépris de caste exercé à l’encontre de cette forme de combat vue comme peu glorieuse par les tenants des actions d’éclat, suscite une réflexion théorique approfondie à travers l’Europe. L’ouvrage de Sandrine Picaud-Monnerat est la référence incontournable sur le sujet. Le lieutenant-colonel Le Roy de Grandmaison publie quant à lui en 1756 un ouvrage de plus de 400 pages : La Petite Guerre ou Traité du Service des Troupes Légères en Campagne. L’ouvrage sera traduit en Allemand, en Anglais, en Espagnol, en Danois et en Polonais, et sera même utilisé par Frédéric II pour l’instruction de ses officiers. Grandmaison sert comme officier durant la guerre de succession d’Autriche, où il peut observer la valeur des hussards hongrois et s’illustre durant les campagnes de Flandre entre 1744 et 1748. Lorsqu’il rédige son ouvrage, Grandmaison répond à un besoin.

Empiriquement, la pratique française de la petite guerre obtient des résultats : elle est militairement efficace, mais la théorisation tactique n’est pas à jour. Grandmaison souligne l’utilité des troupes légères en insistant sur leur flexibilité : ces troupes sont capables de conduire des reconnaissances, mais également de se porter rapidement e différents points du théâtre d’opérations pour soutenir une action en cours ou créer des diversions. Il touche au niveau stratégique (en l’occurrence la stratégie des moyens) lorsqu’il observe que la France étant régulièrement en guerre contre l’Empire, il est dans son intérêt de conserver des troupes légères afin de faire pièce aux uhlans et hussards hongrois.

Grandmaison est le premier auteur à systématiser les différentes parties de la petite guerre, analysant méthodiquement la façon de prendre un poste, de le défendre, de dresser une embuscade, d’enlever des fourrageurs, etc. Comme Maurice de Saxe dans ses Rêveries, Grandmaison accorde une grande place au « détail », c’est-à-dire à la composition du corps, à l’équipement, à l’armement, à la subsistance des troupes légères, car la qualité des hommes influe sur la qualité de leur conduite au combat. Au final, son traité est plus tactique que stratégique, mais il constitue la première systématisation de la « petite guerre » du XVIII° siècle.

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