Cartographie chronique d’une histoire peut-être mondiale (1) | Histoire Globale

Cartographie chronique d’une histoire peut-être mondiale

L’Histoire mondiale de la France, sous la direction de Patrick Boucheron, ne se présente pas comme un livre d’histoire globale. L’introduction, de ce point de vue, est très efficace car ouverte à toutes les lectures. « Il n’existe pas encore aujourd’hui d’histoire mondiale de la France. Le livre qu’on va lire n’en tient pas lieu : il en forme, tout au plus, les prémices ou la promesse. […] Voici pourquoi on lira ici une histoire mondiale de la France et non pas une histoire de la France mondiale. […] Plutôt que de la dire mondiale, on pourrait se contenter d’affirmer qu’elle est une histoire longue de la France. » À chacun des lecteurs d’apprécier.

Plus sérieusement, ce flou artistique autour de la définition de « mondial » pose un problème de fond. Avec la mondialisation globale que nous connaissons, le monde, que certains géographes prennent le soin d’écrire le Monde, est communément identifié avec l’espace global, ou planétaire. Il n’en a pas toujours ainsi, loin de là. Comme l’écrivait Montaigne, au 16e siècle, « notre monde vient d’en trouve un autre ». L’espace global a pu contenir plusieurs mondes distincts et distants. Ce manque de réflexion sur la notion de « monde » est peut-être ce qu’il y a de plus étonnant dans l’historiographie contemporaine. Comme si la notion semblait nouvelle alors que c’est un terme employé depuis le 18e siècle pour caractériser des ensembles géohistoriques divers, et parfaitement banal. Trop peut-être.

Qu’en est-il en effet du « monde grec », du « monde romain », du « monde chinois », du « monde arabe », du « monde malais », du « monde méditerranéen », du « monde atlantique »… ? Toutes ces locutions nous sont familières et pourtant, jamais à ma connaissance, le terme de « monde » n’a été conceptualisé, contrairement à celui de « civilisation » par exemple, qu’on pourrait facilement lui substituer pour parler de la « civilisation grecque », de la « civilisation romaine », etc., sans pour autant qu’on puisse considérer les deux termes comme synonymiques. Ouvrir un ouvrage d’histoire sur un monde quelconque, c’est généralement aborder cette histoire par un tableau géographique décrivant le territoire préposé de la civilisation en question. On pourrait ainsi proposer une définition implicite de monde comme « espace civilisationnel ». Pourtant, il y aurait matière à réflexion sur le processus même de constitution d’un monde, autrement dit sur la mondialisation comme mise en monde. Yann Potin peut se gausser des « publicistes » qui parlent de « mondialisation », mais un temps de réflexion commune sur le champ lexical et conceptuel du « mondial » n’aurait peut-être pas été inutile.

Cette Histoire mondiale de la France n’apporte pas donc que des bribes de réponse à la question des mises en monde successives de cet espace devenu tardivement la France. Il s’agit plutôt, au fil des dates, de plusieurs séances de hula hoop avec un cerceau-mondes virevoltant autour d’une France fixée une fois pour toute depuis la nuit des temps, mais se déhanchant au gré des lieux. C’est du moins ce que j’en ai compris et ce que j’ai voulu traduire en une série de cartes. Celles-ci sont assez sommaires, sans doute critiquables ; elles schématisent des mondes sans prétendre les délimiter avec précision : le recours à des ellipses simplifie trop, laissant de côté certains espaces, incluant d’autres qui ne sont pas concernés. Chaque carte est accompagnée d’un bref commentaire ; là encore, il s’agit d’abord de poser des questions.

Je ne ferai probablement pas un traitement exhaustif des 146 chapitres, mais voici une première série de remarques sur le premier chapitre : « Aux prémices d’un bout du monde ».

34 000 av. J.-C. – Inventer le monde dans les entrailles de la Terre

« Il [ce garçon, fictif] nous parle de la construction d’un nouveau monde, ce monde qu’il a, lui, pu croire de toute éternité, à coups de pinceau ou plutôt de fusain. Ce monde est celui de l’homme de Cro-Magnon. » / « Entre 60 000 et 40 000 avant le présent, Sapiens se répand en effet sur le monde, au-delà de ses frontières d’alors, à l’image de l’Australie comme, peut-être, déjà, selon certains modèles, des Amériques. » / « Qu’est-ce qui fait tourner le monde ? Une société humaine trouve-t-elle d’abord son explication dans une forme de “rationalité biologico-économique” […], ou puise-t-elle son essence dans des idéaux réagissant les rapports de sexe, de génération, de pouvoir, etc. ? » En quelques phrases, François Bon a tenté de justifier la dimension mondiale de cette histoire, au risque de perdre le lecteur dans la polysémie de « monde », entre l’espace planétaire, l’espace de diffusion d’une espèce animale (l’Homo Sapiens), l’espace d’une société identifiée par une culture (les Aurignaciens).
Peut-on parler d’un « monde des hommes modernes » ? De toute évidence, non. L’expansion des hommes et le peuplement progressif des différents espaces du globe se sont accompagné d’une distanciation et d’une déconnexion, plus ou moins forte, des différentes communautés humaines. On peut parler de l’écoumène, c’est-à-dire de l’espace peuplé par les hommes, mais pas véritablement d’un monde, qui impliquerait un minimum de cohésion.
Peut-on parler d’un « monde aurignacien » ? L’expression a pu être employée. Elle renvoie à une unité culturelle identifiée par ses industries osseuse et lithique. On en trouve les traces sur un espace assez vaste, entre le Moyen-Orient et l’Europe occidentale, et pendant une période plurimillénaire, entre 43 000 BP et 28 000 BP.
 23 000 av. J.-C. – L’homme se donne un visage de femme

Inversement, dans ce chapitre, François Bon ne parle plus de monde. Il évoque seulement une « tradition “culturelle” attestée à travers toute l’Europe », celle des Gravettiens.

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