La Spiritualisation de la franc-maçonnerie française | Fragments sur les Temps Présents

Une étude un tant soit peu précise du paysage maçonnique français montre une lente, mais indéniable évolution vers un spiritualisme que l’on peut définir comme un intermédiaire entre la croyance religieuse et l’athéisme. Il va de soi que ce sujet, à notre humble avis trop négligé, mériterait une longue étude, et nous nous contenterons ici de présenter des ordres de grandeur. Ensuite, nous en viendrons à une tentative d’explication de ce phénomène. Nous inscrivons cette mise en perspective dans l’évolution du paysage philosophique et religieux occidental et français en particulier.

Nous poserons rapidement le spiritualisme maçonnique à travers quelques indicateurs qui, lorsqu’ils sont tous actifs, déterminent une pratique méta-religieuse : l’invocation au grand architecte de l’univers, un goût pour la transcendance, une lecture analogique du symbolisme, la crainte du politique et du sociologique.
Ceci étant posé, il convient d’abord de brosser le paysage obédientiel de la franc-maçonnerie française, tel qu’il se présente aujourd’hui.

Le Grand orient de France (GODF), avec ses 53 000 membres annoncés, parmi lesquels à peine plus de 2000 « sœurs », peut être considéré comme le principal pôle d’activité d’une maçonnerie non seulement adogmatique, mais aussi philosophiquement inspirée des Lumières. Pour très longtemps, il sera encore structurellement masculin. Le recrutement du GODF, avec son rite français dominant et un athéisme non déclaré, mais majoritairement partagé, correspond peu ou prou à l’état philosophique de la société, marqué par un recul massif des croyances et des pratiques religieuses.

À l’inverse, la Grande loge de France (GLDF), en partie à cause de l’influence de son Suprême conseil, est plus spiritualiste que jamais, sur un mode volontiers psychologisant, basé sur un développement personnel de ses membres, producteur d’un individualisme très en phase avec l’époque. Elle revendique 35 000 membres, dont trois sœurs transsexuelles non encore exclues à notre connaissance et qui ne le seront sans doute jamais. Son rapport au monde réel et donc mixte est cantonné à des conférences hors loge. Les publications de l’obédience et d’auteurs qui en sont membres témoignent largement de cette orientation.

Avant d’éclater en 2011, la Grande loge nationale française (GLNF), celle qui prétend à la régularité décernée par la Grande loge unie d’Angleterre – une seule obédience par pays ou par état – a connu une croissance qui allait l’amener, s’il n’y avait pas eu cette crise, à dépasser le Grand orient de France. De 46 000 membres, elle est retombée à 22 000, puis elle est remontée à 25 000 et devrait encore progresser. Mais il n’y a pas eu véritablement de perte pour cette tendance de la maçonnerie qui impose une croyance en un dieu révélé, en laissant à ses membres une liberté d’interprétation plus ou moins large de ce principe transcendant. On ne note pas de décrue en effet, puisque la principale dérivée de la GLNF, la Grande loge de l’alliance maçonnique française (GL-AMF), le premier opérateur de la scission de 2011, qui ne se différencie que pour des questions de gouvernance, totalise autour de 15 000 adhérents.

Cette obédience a connu il y a peu des turbulences qui annoncent peut-être une décrue de ses effectif. Quant aux autres groupes issus de la GLNF, ils doivent former un total de quelque 5 000 membres, dont un bon millier pour la seule obédience post-GLNF qui soit mixte : la Grande loge des cultures et de la spiritualité (GLCS).
À la fin du XXe siècle et au début du XXIe, la croissance de la planète GLNF, satellites compris, et celle de la GLDF, plus fortes que celle des obédiences libérales, auront porté l’essentiel de la progression spiritualiste dans la franc-maçonnerie française.

 

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