Arpenter la forêt au prisme des émotions : le martelage #1 | Ordonner les forests

J’ai eu le plaisir l’autre jour d’écouter Caroline Muller expliquer l’importance des émotions dans sa pratique d’historienne. Chemin faisant, son intervention m’a fait prendre conscience d’un fait : je bannis inconsciemment de mon écriture tout ce qui a trait aux émotions pour mieux me concentrer sur l’analyse distanciée des faits. Or, il m’est impossible de travailler sur la forêt sans convoquer le ressenti ou l’émotion, sans les confronter à la lecture des sources ; ils sont en réalité un moteur majeur de la manière dont je perçois l’univers forestier. Pourquoi alors en proscrire l’utilisation ?

Cette réflexion aurait pu en rester là, mais il se trouve qu’une amie m’a invité hier soir à un martelage dans les Pyrénées. Je prends donc prétexte de cette invitation pour écrire un billet en deux temps sur cette pratique et sur sa survivance au-delà de l’Ancien Régime. Ce premier billet aura pour objet de revenir sur l’opération de martelage dans sa double dimension, physique et symbolique, ainsi que sur les ressentis de mon premier martelage ; le second sera « écrit sur le vif » afin de documenter la pratique.

Marteler, est-ce seulement marquer le domaine de l’arbre ?

Qu’entent-on par martelage ? Le CNRTL en donne la définition suivante :

Martelage : Opération consistant à marquer avec le marteau forestier les arbres à abattre ou à réserver dans une coupe.

Au XVIIe siècle, on en dit de cette opération qu’elle « est l’application du marteau du roi, aux arbres retenus & désignés pour servir de pieds corniers, arbres de lisiere & baliveaux dans les ventes » (Bonaventure Chailland, Dictionnaire raisonné des Eaux et Forêts, Paris, Ganeau, Knapen, 1769, p. 369)

Pour comprendre cette pratique, il faut revenir sur la volonté des officiers forestiers royaux de rationaliser le territoire en excluant des forêts les communautés riveraines. Dès le XVIe siècle, les forestiers cherchent à délimiter l’espace communautaire et créent des frontières administratives en multipliant les procès-verbaux d’arpentage et les plans détaillés des forêts. La carte prétend faire le territoire, tandis que toponymes, lieux dits, topographie, sont portés sur le papier, perdant au passage leurs caractéristiques locales pour être francisés. L’opération constitue donc un processus de domination qui s’inscrit dans le développement progressif de la monarchie absolue.

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